BANDE DESSINÉE ET CINEMA
- L'écoulement temporel d'une production BANDE DESSINÉE n'est pas celle du procédé cinématographique.
- Dans ce dernier, si le film (la pellicule) présente des "vignettes" qui se "suivent" à la manière d'un strip vertical (et de penser à Barbe), le cinéma est bien la projection sur un écran unique, selon un certain rythme, de ces "vignettes" - ce qui donne l'impression du mouvement, eu égard au rapport à une réalité "volée", "projetée" sur une pellicule par l'intermédiaire d'une caméra.
- Par sa nature même, le procédé cinématographique s'actualise dans une temporalité linéaire et n'offre donc pas retour en arrière possible.
LE RETOUR EN ARRIERE
- Je ne parle ici ni de ce retour en arrière rendu possible par le magnétoscope qui me permet de revoir quand je veux, autant de fois que je veux, telle ou telle séquence, ni du passage à l'envers du film dans le projecteur, ni du fait de filmer volontairement à l'envers. Dans tous les cas, le procédé cinématographique demeure inexorablement le même. Et si je peux choisir de le faire et ce, par mon action, il ne m'est pas imposé par nature.
- Je ne parle pas non plus du "film passé à l'envers" : au cours du montage (qui est une étape de la création), on monte à l'envers intentionnellement et lors de la projection, on voit l'effet produit, mais le machiniste ne va pas pendant la projection passer le film à l'envers, intentionnellement dans le but de provoquer l'effet ci-dessus : le temps en cinéma est donné et participe de la structure et ne peut être modifiée.
- La BANDE DESSINÉE quant à elle, par nature même, nous impose cette "option": on peut revenir en arrière, "lire à l'envers", pendant la lecture; c'est-à-dire donc qu'il ne s'agit pas d'une option mais d'un état de fait relatif à la nature-même de la BANDE DESSINÉE.
DIVISION EN VIGNETTES MULTIPLES
- En cinématographie, je ne vois qu'une vignette unique (l'écran). En BANDE DESSINÉE, ce n'est pas une vignette unique que je vois mais un certain nombre de vignettes dans une double page de livre.
- Bien sûr on peut se rappeler ces films où, dans certaines scènes, l'écran se retrouve partagé en plusieurs écrans. Mais cette division en plusieurs cases du cinéma n'est pas la division en plusieurs cases de la BANDE DESSINÉE : la première produit la simultanéïté, la seconde produit la succession. Ainsi, sous des dehors équivalents au premier regard, nous avons affaire à des procédés strictement sans aucune similitude.
MOUVEMENT
- Si le cinéma se présente sous la forme d'une série de photogrammes successifs donnés et aussitôt repris selon un rythme défini reproduisant les traces d'une réalité visuelle, l'approche de la BANDE DESSINÉE dont on dit qu'elle se veut cinématographique parce qu'on décompose les mouvements au maximum (sic - nous approchant ainsi, semble-t-il, d'une multiplication et d'une succession assimilable à la pellicule cinématographique) est un leurre. En effet, si l'objectif est de rendre le mouvement, ce n'est pas en décomposant le mouvement en fixant chaque étape du mouvement que cela sera rendu, car cette décomposition tue le mouvement : il fixe dans l'éternité chaque détail du mouvement. Cela ne contribue donc qu'à renforcer la lourdeur
- J.M. Schaeffer, l'Image Précaire, pp.65-66 : "l'image mobile est une image dans le temps, l'image immobile est image du temps"
- La planche est un déploiement de case. La multiplication des vignettes aux contenus semblables immobilise définitivement tout mouvement !
- Krigstein : l'éternel grouillement de l'immobile...
- Le lieu où le mouvement peut efficacement s'actualiser n'est pas dans les cases mais entre les cases : tout sera dans la manière dont les les contenus seront judicieusement mis en rapport.
- L'image, pause et pose dans le temps, n'est pas mouvement, mais arrêt et fixation - ainsi l'écho du temps, du mouvement, peut sourdre de cette image immobile. Ainsi, d'écho en écho sourds, une continuité finit par s'actualiser : celle du temps.
LE SENS DE LECTURE
- Au-delà de la convention du "sens de lecture des cases", la BANDE DESSINÉE s'offre au lecteur - ou plutôt au voyeur - par la surface d'une double page de livre. Avec ce "sens de lecture", on peut désigner l'"ordre" des vignettes : première case, deuxième case, etc, et dernière case.
- Cependant, ces vignettes ne se présentent pas une à une, comme des diapositives, à travers un unique cadre qui peut accueillir toute vignette mais bien à travers cette étendue de vignettes sur la surface de la double page; et l'inconscient voit globalement cette double page.
- Le lecteur (le voyeur) qui tourne sa page et regarde la première case (celle en haut à gauche) a déjà vu toute la double page, et donc toutes les cases jusqu'à la dernière.
- Le créateur de BANDE DESSINÉE traite nécessairement dans sa forme créatrice cette spécificité de structure, que ce soit inconsciemment ou consciemment. D'où l'intérêt pour le dessinateur de composer sa BANDE DESSINÉE et lui donner sa respiration au vue de la "double planche".
LA BANDE DESSINÉE COMME LIVRE
- L'acte physique de tourner la page est considérable et toute œuvre qui actualise sa structure dans le livre est concernée : BANDE DESSINÉE, roman, poésie, etc. (cette considération tient conmpte du produit manufacturé fini et vendu comme marchandise : œuvre artistique et populaire)
- La page qu'on tourne rythme la "lecture" et fonctionne comme une rupture, un passage d'un niveau à l'autre, etc.
- ........
BANDE DESSINÉE & ROMAN
- Si l'on décrit le processus par lequel le lecteur (celui qui lit le texte) apréhende le livre, on peut dire que de la même façon qu'avec le voyeur de BANDE DESSINÉE, une fois la page tournée, ses yeux auront parcouru le texte écrit sur toute la surface de la double page même en allant directement sur la première ligne, en haut à gauche.
- La différence fondamentale cependant est que le lecteur lit des mots et le voyeur lit des images.
- Que l'on considère la reproductibilité et l'impression sous forme de livre (l'album) comme des données de l'essence de la BD est une gageure : ces données ne peuvent être des psécificités fondamentales du genre. ce sont en réalité des spécificités du roman, de l'essai, du texte écrit. La BANDE DESSINÉE étant faite d'images mises ensemble sur une même surface, la nature de l'E° ne peut se limiter à un livre mais est ouvert à tout support acceptant l'image (et répondant au propos de l'image d'être montrée).
- En ce qu'elle est image, l'Eé est forcément bidimensionnel, mais rien n'est dit que l'Ea le doit être aussi et que l'E° soit un livre.
- Le développement du multimédia (par exemple) n'enlève rien au propos : qu'un roman soit lu sur moniteur ne change rien à la nature du texte d'être dans la concrétude des caractères sans représentation.
- On peut imaginer un développement technologique tel que qu'on aurait la possibilité de modifier les coordonnées des traces de pigment en dépôt sur la surface du "papier". Que le mouvement de la page qu'on tourne translate vers celui d'un bouton que l'on presse pour aller et revenir sur le lieu d'un même support (l'écran par exemple) est un état de fait historique et cette notion va désormais faire partie de notre culture et de nos modes de pensées (changer de lieu sans changer de lieu - dans un rapport de "lieu" à "lieu" de plus en plus proche... Avant, on changeait de lieu en imagination par exemple, en lisant, maintenant, on peut voir les images - bientôt, on pourra y être ! (les VRC !)
- Par ailleurs, dans un livre, pour aller à la page 389, il faut y aller physiquement. Avec l'ordinateur, la réalité étant virtuelle, on peut, sans changer physiquement de lieu (l'écran), aller à la page 37859...
- A cet égard, le cinéma, même s'il s'apporche de la réalité virtuelle, n'en est pas, tant qu'il y aura la pellicule (ou la bande numérique) qui devra filer sur plusieurs mètres...
L'INCONSCIENT
- Au niveau de l'inconscient, l'un va enregistrer (dans son parcours global de la surface de la double page) des mots et l'autre, des images. Si le premier a affaire non seulement à du sens mais aussi à l'univocité du rapport linguistique signifiant / signifié (Sa. / Sé.), le second n'a certainement pas affaire à ce genre de dichotomie : l'image ignore le discursif car elle n'est pas un signe linguistique (donc pas d'univocité du rapport Sa. / Sé.), mais de plus, étant tout indice (sens husserlien), elle ne veut rien dire en soi (mais on peut lui trouver un sens après.)
- l'inconscient du lecteur peut saisir des mots et parfois si le lecteur est performant des bouts de phrases mais il lui faudra lire consciemment pour pouvoir apprécier une description qui ferait plusieurs lignes. L'inconscient du voyeur n'aura aucune peine à apprécier un dessin dans sa globalité... A cet égard il va de soi que des images prêtant à confusion (voir les œuvres d'Escher par exemple) existent et il va de soi aussi que l'inconscient travaille selon ses propres critères. Donc l'affirmation selon laquelle l'inconscient peut appréhender toute image dans sa globalité est à mesurer avec plus de justesse - ce que nous ferons plus loin.
- Cependant, comme nous allons le voir maintenant, la nature discursive ou iconique d'une œuvre joue sur la puissance de l'inconscient dans l'appréhension de la double page.
- Nous ajouterons seulement qu'en ce qui concerne le roman, il est vrai que la facette iconique du support (la typographie, le pavé de texte et la distance entre les lettres) fait que des images s'inscrivent bien dans l'inconscient du lecteur : les lignes "blanches", sinueuses, dans le gris du pavé par exemple...
CERVEAU, RECIT DISCURSIF & RECIT ICONIQUE
- Dans cette action commune à la BANDE DESSINÉE et au roman qui fait que l'on appréhende l'œuvre d'une part visuellement et d'autre part dans une linéarité relative, nous pouvons voir que l'un et l'autre genre fait fonctionner notre cerveau différemment.
- Le roman nous prend aux tripes en passant par nos yeux pour aller vers les centres nerveux du discours ("cerveau gauche"), de la compréhension par les mots, de l'imagination par les mots.
- La BANDE DESSINÉE nous prend aux tripes en passant par nos yeux toujours mais pour aller directement vers les centres nerveux qui appréhendent globalement les choses ("cerveau droit").
- (...)
L'EMOTION
- Pourtant, si une image (un tableau de maître par exemple) peut nous figer sur place pendant des heures, je n'en connais pas qui , en soi, émeuve au point de faire jaillir des larmes à toute une assistance (sinon, bien sûr, il y a des images qui rappellent par exemple des souvenirs, etc - et au rappel du souvenir, on peut pleurer.)
- Je connais par contre des films, des romans qui font pleurer : c'est là le propos d'ailleurs de certains, jusqu'au dégoût. Et en BANDE DESSINÉE : si un Tardi-même a pu douter de la puissance de la BANDE DESSINÉE, si de grands maîtres sont passés à la peinture (Krigstein par exemple), il est des BANDE DESSINÉE qui nous font pleurer... Je pense à certains shoojo manga comme Candy-Candy qui ont fait pleurer des générations de jeunes filles et de moins jeunes... et même des garçons. Jusqu'au dégoût.
- (...)
- La BANDE DESSINÉE prêtant l'image à une fonction narrative devrait être à même de produire plus d'émotion que le livre écrit.
- Les lois qui régissent l'émotion dans la BANDE DESSINÉE ne sont pas les mêmes que celles qui régissent le discours. Nécessaire dans les deux domaines, le sens est transcendé dans la BANDE DESSINÉE par du sensible immédiatement offert en pâture aux sens et interroge directement notre capacité à recevoir les informations sensoriels et faire lien avec l'immensité du monde phénoménologique dans lequel nous évoluons et dont nous tirons expérience et mémoire de cette expérience. Ainsi, la BANDE DESSINÉE par sa nature intermédiaire est capable de jouer un véritable rôle de déclencheur d'émotion par référence au réel, ou au passé - madeleine de Proust excitant non les papilles gustatives mais la vue et l'action.
- (...)
LA BANDE DESSINÉE : DISCOURS & ICONICITÉ
- La BANDE DESSINÉE est circonstancielle, événementielle, par définition ce qui permet sa narrativité.
- La BANDE DESSINÉE est image d'abord, et il est aussi discours : la présence de texte dans la BANDE DESSINÉE, sa "narrativité"...
- Les facettes discursives de la BANDE DESSINÉE conditionnent la BANDE DESSINÉE vers une discursivité qui ne lui sied pas (ça la fait marcher à côté de ses pompes).
DU TRIPLE RAPPORT DISCOURS / SCENARIO / BANDE DESSINÉE
- Un scénario descriptif, dialogues à l'appui est un discours (exemple : "le héros est en colère, il a le visage rouge, les sourcils froncés, il agite les bras et hurle : "Roberta ! Ça va chier !". Ladite Roberta est devant lui, Elle lève son bras et lui balance une gifle. Le héros va valdinguer du côté de la fenêtre ouverte et est défénestré : Chute du 10e étage.") La mise en image d'un tel discours, aussi descriptif soit-il, est une gageure absurde à qui s'y prendrait à la lettre.
- - Absurdité du dessinateur qui prendrait chaque phrase (chaque proposition grammaticale) pour une case : "le héros est en colère", on dessine donc dans une case un bonhomme en colère (sic). "Il a le visage rouge", on dessine donc la case 2 avec la tête du bonhomme toute rouge. Case 3, il fronce les sourcils. Etc...
- - Absurdité encore (mais moins déjà !) de celui qui mettrait en image chaque séquence d'action décrite ( exemple de choix possible (il en est d'autres) : 1. la colère; 2. la baffe; 3. la défénestration)
- - Beaucoup moins absurde celui qui d'abord lira le texte pour l'imaginer dans sa tête et ensuite, oubliant le texte et ne se référant qu'à ce qu'il a imaginé (vu en imagination, vécu en imagination), dessine et met en planche...
APPROCHE DE L'INDIFFERENCE SCENARIO / BANDE DESSINÉE
- A noter que la première étape est tout à fait indépendante de la seconde : la première ne concerne pas du tout la BANDE DESSINÉE. N'importe qui lisant le texte peut voir dans sa tête ce qui est décrit. Il peut se le passer dans sa tête non plus comme des phrases avec des mots mais comme une scène vécue. La seconde étape, là où réellement la BANDE DESSINÉE commence, se fait uniquement à partir de cette scène vécue et donc la première étape n'existe plus dans le processus de création :
- LA BANDE DESSINÉE SE FAIT EN IMAGE, ELLE NE SE FAIT PAS AVEC DES MOTS.
UN DISCOURS DESCRIPTIF EN ADEQUATION AU GENRE
- Bien sûr, nous n'avons vu ici qu'une "parodie" de scénario. Un discours descriptif plus "poussé" pourrait servir quasi-pertinemment la BANDE DESSINÉE. Nous allons donc être amené à traiter de l'approche discursive de la BANDE DESSINÉE et de sa limite : comment la chose est possible et comment cependant elle est illusoire.
- Revenons à notre exemple pour avoir les premiers éléments de réponse. et posons nous quelques questions :
- - Comment faire la BANDE DESSINÉE à partir de cette scène ?... Quand nous disions "il dessine un homme en colère dans une case", nous n'avions aucune information sur le point de vue du dessinateur : point de vue angulaire par exemple, point de vue dramatique (humour, tragédie, etc), point de vue stylistique ("à la" Giraud, "à la" Franquin, etc), etc... Si ce genre différenciation est spécieuse comme nous serons amené à le voir plus loin, à notre étape, à tout le moins, nous pouvons comprendre par ces données que nous n'avons pas tout dans le scénario (i.e. le discours).
- A chaque vignette, qui regarde et qui suis-je ? suis-je à un mètre des deux protagonistes, est-ce que je regarde du plafond, est-ce que je suis à la fenêtre de l'immeuble d'en face, suis-je une mouche virevoltant dans la pièce où ça se passe, etc ou le héros ou Roberta ?...
- - Que mettre dans la bande blanche - on ne demande plus : "que dessiner dans la vignette ?"
- - La séquence telle que le texte descriptif nous l'a fait imaginer est-elle une séquence BANDE DESSINÉE ? En effet, quelque soit la richesse descriptive du discours, un texte reste un texte et la description reste limitée aux spécificités du discours (il ne peut par exemple décrire un style (sinon par un phore et le phore est lui-même inscrit dans l'ordre de l'indescriptible donc c'est poser une comparaison et non une description véritable; et une approche d'une telle description eût-elle été faite que je vois mal un dessinateur aussi méticuleux soit-il reproduire à partir de cette description discursive le style décrit... Deux étapes, donc, à deux niveaux différents, et totaement indépassables !) Et l'inverse vaut également : on ne peut "décrire" une BANDE DESSINÉE (une image).
- - Il découle de ce point ci-dessus que l'image, ici, n'est pas seulement la reproduction de ce que l'on a imaginé (ou plutôt même de ce que l'on imagine) : au-delà des méthodes de travail de chaque créateur et de leurs compétences (Mœbius a toutes les images dans sa tête, Dave Stevens dessine sur modèle, Beaucoup ont besoin du crayonné, etc), il faut savoir que le cerveau (l'imagination) n'est qu'un relais parmi d'autres.
- LA BANDE DESSINÉE S'EFFECTUE SUR LE PAPIER.
LES FACETTES DISCURSIVES DE LA BANDE DESSINÉE
- La BANDE DESSINÉE s'apparente au discours par sa narration. Elle est pourtant une négation du discours en ce qu'elle dépasse sa définition : univocité de ses éléments linguistiques, discontinuité, utilisation d'une grammaire, d'un vocabulaire, etc ainsi que conventions d'écriture, alphabet, etc... La BANDE DESSINÉE, elle, crée, par sa forme-même, son propre système de code, unique, inscrite strictement dans la cohérence de la continuité de son créateur. Elle est de surcroît continue et ses facettes discrètes ne sont reconnues ainsi que par la discursivité de notre entendement.
CONTRAINTES COMMERCIALES
- La structure de production multinivellée n'a de nécessité que par rapport à des impératifs de productivité : comment faire vite et bien ? Déléguer au maximum et bien, et déléguer tout ce qui ne fait pas l'essence de la BANDE DESSINÉE, afin de laisser au réalisateur toute la liberté de création en ne se fixant que sur l'essence de celle-ci.
- Au-delà du mauvais débat commercial / artistique, c'est, après analyse de telle "méthode de travail" propre à certains artistes, que l'on peut, en ce qui les concerne (et cela ne peut s'ériger en loi définitive applicable à tous), élaguer certains actes superflus et s'offrir l'opportunité de se donner les moyens de créer mieux et plus vite.
LE TEMPS BANDE DESSINÉE
- On a vu que la BANDE DESSINÉE n'était pas le ciné. Le temps n'est pas le même dans l'un et l'autre genre.
- On admet communément que la BANDE DESSINÉE offre sur la surface des pages un alignement d'images encadrées, aposées les unes à côté des autres dans un certaine ordre de lecture (le sens de lecture), laquelle lecture rend une temporalité. Mais cette temporalité n'est pas structurelle (elle est de l'ordre du software et non pas du hardware).
- Toutes les vignettes de la double-planche (et a fortiori, dans une autre mesure, toutes celles de l'album) sont simultanément structurellement. La structure livre, la structure vignettes côte-à-côte permettent de revoir la case précédent celle qu'on a vu, revenir en haut à gauche alors qu'on est arrivé la fin de la double-planche, etc... D'où par exemple les jeux palimdromiques possibles (cf. Schuiten & Peeters) même si bien sûr ce procédé, comme en littérature trouve rapidement ses limites.
TEMPS BANDE DESSINÉE & CONVENTION DE LECTURE
- Un usage subtil est possible cependant eu égard à ce jeu de temporalité (non-structurelle) : par essence, il est offert au créateur de BANDE DESSINÉE d'user de la BANDE DESSINÉE à notre guise, non plus seulement pour jouer et faire clin d'œil au lecteur mais pour donner à la BANDE DESSINÉE l'opportunité d'exister indépendamment des autres genres.
- Il faut savoir que le lecteur de BANDE DESSINÉE - le voyeur de BANDE DESSINÉE - a appris à lire - voir - une BANDE DESSINÉE. Et la convention d'ordre de lecture est une des modalités à laquelle il faut être formé (pour seul exemple ceux qui ne sachant pas qu'au Japon on lit de droite à gauche disaient qu'on y comprend rien). Cette modalité, convention commune donc, participe également de la forme créatrice de l'auteur. Ainsi, la forme étant unique car étant celle de son créateur, la modalité de lecture dont nous parlons peut s'actualiser hors du stricte contexte de cette convention. Cela nous faite certes entrer dans un domaine plus "artistique" que dans le cas commun du respect des conventions établies - je pense en fait aux artistes-peintres dont les œuvres sont de façon bien plus profonde encore la forme de leur créateur - mais, en théorie du moins, tout cela n'est qu'une affaire de formation. Celui qui s'attend à "lire"comme d'habitude sera dérouté si l'ordre de lecture répond à une autre forme d'ordination s'il n'a pas appris à "lire" selon cette forme-là... Non pas qu'il faille expliquer à chaque nouvelle forme d'ordination propre à chaque créateur "l'ordre de lecture" à adopter mais tout simplement que nous aurons affaire à un niveau supérieur d'appréhension de la forme créatrice : une fois formé, le "lecteur" saura "lire" toutes les formes d'ordinations, dont, bien entendu, l'ordre de lecture commun.
UNE VOIE INEXPLOREE
- L'exploration de cette spécificité n'a jamais été faite qu'en référence aux spécificités d'autres genres (comme le discours avec l'exemple du palindrome) et jamais réellement dans l'espace de liberté du genre lui-même (sinon par des manifestations involontaires (la flèche) mais ce, uniquement se réajuster par rapport au sens de lecture commun. C'est dû à la mauvaise maîtrise de sa forme (il s'agit donc d'une impuissance)) et non à une intention pure créatrice (au sens défini plus loin - le fondement de la forme créatrice)).
- Un immense pan d'exploration est donc maintenant offert à l'avant-garde de la création BANDE DESSINÉE et si une formation à la lecture est nécessaire, a posteriori, n'importe qui peut habiter ces formes.
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